Comment Vladimir Poutine veut faire plier Facebook, Twitter et Google en Russie

Google, Facebook, Twitter ou encore Apple vont-il plier devant Vladimir Poutine ? Depuis le début de l’année, les géants du web sont dans le viseur de l’homme fort du Kremlin qui veut contrôler le contenu des internautes russes sur le moteur de recherche et les réseaux sociaux. Le 2 septembre dernier, les autorités ont rappelé à Google et Apple que les deux entreprises devaient retirer l’application d’Alexei Navalny, le principal opposant russe de leur plateforme sous peine d’une condamnation.

Pour les groupes californiens, il ne s’agirait que d’une énième sanction parmi une pluie d’amendes avec, à chaque fois, les deux mêmes accusations : refus de supprimer un contenu jugé illégal par les autorités et absence de transfert de données privées vers le territoire russe. Twitter a dû régler 100 000 euros en avril, Google, 35 000 euros puis 75 000 euros en mai, 70 000 euros en juillet pour Facebook et Twitter, 162 0000 euros de nouveau pour Google et, dernièrement, le 26 août, 170 000 euros, 193 000 euros et 45 000 euros pour respectivement Facebook, Twitter et WhatsApp (propriété de Facebook).

Éviter que l’opposition ne s’organise sur les réseaux

Le groupe de recherche Freedom House, basé à Washington, affirme que l’internet russe n’est “pas libre”, le classant 51e sur 65 pays en matière de liberté de l’internet. “La reprise en main de l’Internet par les autorités russes a démarré en 2012, après le retour de Vladimir Poutine au Kremlin, et au lendemain des manifestations de la place Bolotnaïa, à Moscou. De nombreuses lois adoptées depuis lors ont permis au pouvoir d’affermir son contrôle sur l’Internet russe”, confirme Michaël Levystone, chercheur à l’Ifri (Institut français des relations internationales), spécialiste de la Russie et l’Asie centrale.
“En 2014, une nouvelle loi contraint par exemple les plateformes numériques à relocaliser sur le territoire national les données liées aux citoyens russes. Mais il est compliqué en réalité de réellement cloisonner les internautes, la population russe étant très technophile et massivement présente sur internet. Vladimir Poutine préfère dès lors que ce soient les géants américains qui viennent se plier aux lois du pays”.

En janvier 2021, l’opposant Alexei Navalny revient en Russie après un mystérieux empoissonnement l’ayant envoyé dans un état d’urgence vital dans un hôpital à Berlin. Remis sur pied, il est emmené en cellule sur le champ par les forces de l’ordre après être son entrée sur le territoire. Au même moment, une vidéo est postée sur YouTube : Alexei Navalny y dévoile les images du prétendu Palais de Poutine, une demeure digne de Versailles au bord de la Mer noire, et financée par les deniers publics. Son arrestation et le contenu de cette vidéo entraînent une vague de manifestations dans les métropoles du pays. Pour Vladimir Poutine, il faut agir et rapidement.

Un retard difficile à comber

Une loi est votée quelques jours plus tard au Parlement, obligeant les entreprises de la tech à supprimer des publications lorsqu’elles sont jugées illégales par le Roskomnadzor, le régulateur russe d’internet. Si les sociétés ne se conforment pas à ces avertissements, elles s’exposent à des amendes ou à un ralentissement de leur réseau dans le pays. En mars, les autorités avaient rendu plus difficile la consultation et l’envoi de messages sur Twitter après que le réseau avait omis d’effacer les contenus jugés illégaux par le gouvernement.

Selon le Roskomnadzor, Twitter a supprimé environ 6 000 messages. En juillet, une nouvelle loi oblige les géants de la tech à ouvrir une filiale en Russie. Le régulateur a déclaré que certaines entreprises ont commencé à se conformer à la législation, notamment Apple, Microsoft et Samsung.

“Cette offensive contre les géants américains du web est aussi très symbolique. Vladimir Poutine s’attaque à l’une des forces des États-Unis et de l’Occident en général, les réseaux sociaux. Le président russe espère qu’en mettant la pression sur ces puissantes entreprises il pourra en tirer un bénéfice lors des négociations avec Joe Biden sur d’autres sujets. Le risque, c’est que ces groupes décident tous simplement de se retirer, comme l’a fait Microsoft avec LinkedIn en 2016”, nous explique Julien Nocetti, chercheur spécialisé dans la Russie et le Moyen-Orient à l’Ifri, auteur de “Un outsider paradoxal : la Russie dans la course à l’intelligence artificielle”.

“La Russie voudrait évidemment développer ses propres champions de la Tech, mais les Américains et les Chinois ont déjà pris beaucoup d’avance. Se priver d’entreprises américaines, cela veut dire se tourner vers Pékin. Mais, là encore ce n’est pas sans conséquence puisque le pays pourrait se rendre dépendant des géants chinois de la tech”, ajoute t-il. Malgré l’image d’un homme constamment serein, l’avenir de l’internet russe et de l’usage qu’en fera la population est peut-être ce qui préoccupe le plus Vladimir Poutine.